Ah, le fameux modèle allemand. Depuis que je suis gamin, je l’entends à toutes les béarnaises. Modèle économique, industriel, politique, décentralisé, écologique… On peut y coller tout terme important, ça colle justement. Et si on parlait du modèle allemand de l’énergie ?

Tout commence par des vacances en juillet 2021. (Oui je suis en retard sur mes photos, chut.) Un moment idéal pour aller rendre la pareille à nos voisins germains qui aiment nous envahir, n’est-il pas ? Non. Le déluge subi à Luxembourg aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. Bref, il y a eu pas mal de flotte cet été 2021 en Allemagne. 187 victimes. Et de se demander quand nos élites vont s’intéresser au bouleversement climatique. Mais ça c’est une autre histoire. Quoique.

De drôles de vacances

Tant qu’à donner dans l’improbable, un reportage sur Arte avait attisé ma curiosité sur une spécialité typiquement allemande (ou du moins typiquement pas française) : les mines de charbon à ciel ouvert. Plus exactement, de lignite. La question était de savoir s’il serait possible de jeter un coup d’œil. Tu parles. A proximité des mines, Google Maps regorge de lieux poétiquement nommés « Aussichtspunkt ». Littéralement, « point de vue ». Ouais, c’est particulier les vacances avec moi.

A proximité, des panneaux. Sur place, des aménagements. Accédons, montons. Il y a même des fleurs.
(C’est bien fait, hein ? C’est allemand.)

Pour la suite, autant dire que les mots me manquent. L’arrivée devant cette balafre béante, qui s’étend sur des kilomètres, est vertigineuse. Je me souviens avoir eu le souffle court. Rien de transcriptible avec quelques photos. Bienvenue à la mine à ciel ouvert de Hambach. Devant vous, une balafre de plus de 44 km² et 400 mètres de profondeur ; la mine la plus étendue d’Europe. À terme, la mine atteindra 85 km².

Après le vertige, la fascination. Des panneaux expliquent les procédés. Et le soir tombé, l’endroit devient même un lieu de rendez-vous. Je suis fan de cette incongruité !

Il va sans dire que l’activité ne s’arrête jamais. Jour et nuit, la civilisation est vorace d’énergie, quelle qu’elle soit. En soi ce n’est pas une surprise. Juste le sourd bruit de fond tranche avec notre localisation bien loin de tout pourtant.

Ce qui m’a choqué dans ce fameux sujet d’Arte, c’est l’engloutissement de villages. Les mines n’ont pas soigneusement évité l’activité humaine. Et inversement. Alors on exproprie et on grignote les communes, littéralement. Si ceci est abstrait quand on est sur place, il y a ce moment de surprise dans la voiture avant même d’arriver. Alors que nous roulons sur l’autobahn, le GPS daté de la voiture indique autre chose : une autoroute rectiligne plusieurs kilomètres au nord. Enfin, feue une autoroute rectiligne, elle aussi reléguée au rang de souvenir et remplacée par le tronçon récent de la Bundesautobahn 4 que nous avons sous les roues.

Et la nature, bordel ?

Et après ? RWE, l’exploitant, a tout prévu. On remblaie, on plante des arbres, on laisse des étendues d’eau se former dans les trous. Regardez ces beaux alignements d’arbres identiques tirés au cordeau dans ces forêts balisées. Collée à la mine de Hambach, voici la Sophienhöhe, littéralement la colline de Sophie. Accessoirement la plus haute et massive colline artificielle du monde. Bah oui, 44 km² de mine, faut bien faire quelque chose des déblais d’extraction. Côté chiffres, on parle de 13 km² et d’un point culminant à 301 mètres, soit 200 de plus que le niveau moyen de la plaine environnante.

C’est beau. C’est bien ? Et bien… pas forcément. Mais Valentine te l’explique bien mieux que moi. Disclaimer : je ne suis pas allé étudier le programme de RWE.

Allez, on va voir ailleurs. Enfin de vraies photos de vacances ? Non, juste une autre mine. Tu penses bien qu’il n’y en a pas qu’une seule ? Il y a 9 mines de lignite en activité à travers le pays. Ici c’est la mine de Garzweiler. 31 km² « seulement ».

Bref, rebelote. Des pancartes éducatives. Une passerelle d’exposition. Une centrale en arrière plan. Un guide de RWE. Des cadenas. Des cadenas ? Déjà que je ne saisis pas l’idée sur le pont des Arts, alors là ça me dédouble le fondement. Pardon.

Mais tout va bien, ici bientôt une forêt et des étangs.

Alors, pourquoi ce merdier ? Outre le fait que l’humain ne sait faire autre chose que consommer de plus en plus d’énergie, évidemment. Voici un résumé turbo vulgarisé.

La turbo vulgarisation du merdier

Tous les moyens de production d’électricité d’un pays, on appelle ça son mix électrique. Un mix, parce qu’un seul moyen de production à l’échelle d’un grand pays ça ne marche pas à tous les coups. Comme tous ses œufs dans un même panier. Alors on choisit un moyen de production préféré, et on s’arrange avec d’autres pour que le réseau ne se casse pas la gueule au premier incident. Le tout en fonction des contraintes et des choix politiques.

Prenons l’exemple de la France. Dans les années 1970, pour assurer notre indépendance énergétique (« On n’a pas de pétrole, mais on a des idées », TMTC), on a fait une transition vers l’énergie nucléaire, qu’on peut piloter dans la limite des réacteurs en service. En première variable d’ajustement, on profite de nos montagnes et cours d’eau, et on fait de l’hydroélectrique qu’on peut piloter dans la limite de la quantité d’eau disponible. En autres variables d’ajustement, on achète du jus à nos voisins ou on module nos centrales thermiques, ces vilaines choses qui brûlent du fioul, du gaz ou du charbon et rejettent plein de CO2, mais qui sont pilotables extrêmement facilement. Puis, on s’est mis à ajouter des moyens de production renouvelables qu’on peut piloter… Ah bah non, on peut pas les piloter. Les soirs d’hiver sans vent, si on veut chauffer nos trains et faire rouler nos hôpitaux, il faut un moyen de production apte à répondre rapidement.

Traversons la frontière. En Allemagne, sous la pression des Verts, la sortie du nucléaire est au programme depuis 2002, accélérée par la catastrophe de Fukushima en 2011. En parallèle, nos voisins ont mis les bouchées triples pour construire des moyens de production renouvelables. Mais pas assez pour couvrir les besoins du pays. Alors la première variable d’ajustement, ce sont les centrales thermiques, à nourrir avec du charbon local, ou du pétrole moins local, ou du gaz – vous vous souvenez de Poutine qui rigole et de l’Union Européenne qui se déchire autour de l’embargo sur le gaz russe ?

Bref, l’Allemagne a du lignite, et le choix permettant d’assurer la souveraineté énergétique du pays, c’est de l’exploiter. De moins en moins, heureusement. Le bouleversement climatique ? Tant pis ! Je t’avais bien dit que ce n’était pas une autre histoire.

Bonus

Deux bonus pour creuser le (passionnant, si si) sujet du mix électrique :

  • La chaine YouTube le Réveilleur, tenue par Rodolphe Meyer, est une mine d’informations sur l’énergie.
  • Le site Electricity Map permet de voir le mix électrique de 75 pays, en temps réel ou sur une période choisie. Cocorico, la France est souvent extrêmement bien placée. Voici l’exemple des mix français, allemand et étatsunien pour 2023.

NB : contrairement aux mentions légales du site, ces 3 images ne sont évidemment pas sous le régime de licence mcalp – Creative Commons Attribution.

Le sujet une fois développé étant propice aux discussions houleuses, l’espace commentaire ci-dessous est à ta disposition pour étriper les gens qui ne pensent pas comme toi. Puis comme les Youtubeur/se/s ont l’habitude de te le dire, c’est bon pour le référencement.

Pour éprouver un dernier sentiment de vertige, je t’invite à passer la carte ci-dessous en mode satellite et à contempler la taille de la mine par rapport à la ville de Cologne.

Merci à Rodolphe pour sa relecture.

Cet article a 2 commentaires

  1. Cassandra

    Vertigineux !

    1. Denis

      Et tellement plus IRL !

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.