Tōkyō, jour 5. S’il y a un quartier où il faut aller prendre un verre à Tokyo, du peu que j’ai vu de la ville, c’est Golden Gai. Laisse-moi donc te conter pourquoi.

Comment un tel quartier a-t-il pu survivre à son environnement ? L’environnement, c’est Shinjuku. Autant dire, un des endroits les plus électrisants au monde. Golden Gai, c’est quelques pâtés de maisons vétustes, souvent à deux niveaux, entrecoupés de six ruelles où les voitures ne peuvent s’aventurer à cause de l’étroitesse des lieux. Ceux qui ont vu le quartier de dessus, depuis l’un des innombrables gratte-ciel de Shinjuku, racontent que Golden Gai ressemble à un bidonville.

Il faut dire que Golden Gai, hormis les sanctuaires, est un des rares endroits du vieux Tokyo encore préservés. Jusque 1958, lorsque l’activité est devenue illégale, la prostitution était une spécialité du quartier. Quartier qui est alors devenu un lieu de vie nocturne. Au moment du boum économique des années 1960, les Yakuzas déclenchent des incendies dans Tokyo pour que les promoteurs puissent racheter les terrains et construire plus dense. Golden Gai rassemble tant d’aficionados qu’une garde constante n’a pas permis à la mafia de parvenir à ses fins.

Aujourd’hui, ce sont plus de 200 bars aux thématiques variées qui animent Golden Gai. Comment est-ce possible ? Déjà, il n’y a que ça. Plein de portes donnent sur un bar. Il est commun de trouver deux bars par bâtiment d’ailleurs. Puis, ils sont tout petits. Rares sont les établissements capables d’accueillir plus de cinq ou six personnes. Certains se limitent même à deux ou trois clients et font l’économie d’un comptoir. Finalement, c’est comme si on était tous attablés ensemble. La clientèle compte d’ailleurs pas mal d’habitués.

Impressionnant ? Ce n’est pas tout. Encore plus que dans le reste du Japon, les portes vitrées sont peu répandues. Il y a parfois une petite fenêtre qui permet de voir si le l’établissement n’est pas déjà complet, quand il se situe au rez-de-chaussée. Souvent, quand on débarque dans un endroit, c’est une surprise ! On ne peut se fier qu’à la déco extérieure, allant du discret à l’exubérant, et toujours originale, ainsi qu’à la carte. Si celle-ci est exclusivement en Japonais mieux vaut passer son chemin, les touristes risquent de ne pas être accueillis des plus chaleureusement. Nombre d’établissements exigent une « charge tax » : en gros, on paie son siège. D’autres imposent au moins une consommation.

Si j’étais intimidé pour rentrer dans un bar ? Carrément, surtout que mes compères de week-end avaient un programme autre. Alors ami lecteur, me vois-tu y rentrer ?

J’ai pas fait 10 000 kilomètres pour hésiter devant une porte ! Affamé, j’ai finalement jeté mon dévolu sur un bar italien promettant un « grill ». Escalier étroit, palier sombre. La porte du bar ? On aurait dit la porte de la salle de bain de mon ancien appart, mais en rouge. Finalement, quelqu’un sort du bar. Du coup je suis entré.

Ce bar est très rouge, et très grand pour Golden Gai : 15 m² ! Je suis le seul client. la serveuse parle trois mots d’anglais. Dans un coin, une télé passe Kill Bill en boucle. Sous-titré en japonais, bien sûr. Des dizaines et des dizaines de bouteilles d’alcool sont entassées, derrière le bar ou sur le comptoir. Toutes les boissons sont à prix unique. Tant qu’à être dans le décalage, je commande, tant bien que mal, un verre de Lambrusco. Je n’échangerai pas grand chose avec la serveuse, dommage. Plus tard, deux habitués débarqueront, les trois passeront un bon moment. Mon envie de bidoche est contrariée par la carte du « grill » finalement limitée. Pizza, et c’est tout. La tenancière ne pipe mot quand je lui demande s’il est possible de manger. Pourquoi me compliquer la vie alors qu’il me suffit de lancer un enjoué « Pizza ? » pour qu’elle s’exécute dans la joie. La pâte est aussi fraîche que les feuilles de basilic découpées sur la pizza qui cuit.

Je commence à comprendre comment Golden Gai a aussi bien survécu qu’un sanctuaire. C’est un sacré lieu !

Puis, un bruit bizarre. Tiens, la serveuse a sorti son chalumeau pour dorer le fromage.


Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.